Il est évident que ce qui se passe actuellement à Jénine renvoie à quelque chose de beaucoup plus large. Israël le sait, d’où la violence exagérée contre le camp de réfugiés, écrit Ramzy Baroud.

Le meurtre de quatre jeunes Palestiniens par les soldats d’occupation dans le camp de réfugiés de Jénine dans le nord de la Cisjordanie, le 16 août, est un événement conséquent dont les répercussions vont certainement se faire sentir dans les semaines et mois à venir.

Les quatre Palestiniens, Saleh Mohammed Ammar, 19 ans, Raed Ziad Abu Seif, 21 ans, Nour Jarrar, 19 ans, et Amjad Hussainiya, 20 ans, étaient des nouveau-nés ou des nourrissons lorsque l’armée israélienne a envahi Jénine en avril 2002. L’objectif était alors, sur la base de déclarations de représentants et de généraux de l’armée, de donner une leçon à Jénine dont ils espéraient qu’elle serait comprise dans d’autres zones de résistance palestinienne en Cisjordanie occupée.

Dans mon livre À la recherche de Jénine, publié quelques mois après ce qui est désormais connu comme le « massacre de Jénine », j’ai essayé de rendre compte de l’esprit révolutionnaire de ce lieu. Bien que, d’une certaine manière, le camp fut représentatif de la lutte palestinienne plus large, d’un autre point de vue c’était un phénomène unique méritant une analyse et une compréhension approfondies.

À la fin de cette bataille, Israël semblait avoir entièrement éliminé la résistance armée de Jénine. Des centaines de combattants et de civils avaient été tués et blessés, des centaines d’autres arrêtés et de nombreuses maisons étaient détruites. Même des sympathisants avec la lutte palestinienne ont sous-estimé la capacité de Jénine à faire renaître sa résistance dans des circonstances apparemment impossibles.

Jénine a longtemps été un centre de la révolte, ciblé par les représailles britanniques lors de la révolte arabe de 1938.

Jénine a longtemps été un centre de la révolte, ciblé par les représailles britanniques lors de la révolte arabe de 1938.

Jénine a longtemps été un centre de la révolte, ciblé par les représailles britanniques lors de la révolte arabe de 1938. (Public Domain/Wikimedia Commons)

Gideon Lévy et Alex Levac ont dressé dans l’édition du 10 juin 2016 de Haaretz un état des lieux de ce petit camp. « Jénine, toujours le plus militant des camps de réfugiés, a été frappé et détruit, supprimé et ensanglanté par Israël. Ces jours-ci son énergie semble brisée. Chacun s’occupe de son propre sort, de sa propre lutte pour la survie » écrivaient-ils. Leur article avait pour titre « Jénine, naguère le plus militant des camps de réfugiés palestiniens, agite le drapeau blanc ».

Être étouffé et brisé par une énorme force, est cependant bien différent de « agiter le drapeau blanc ». En fait, ce truisme ne s’applique pas seulement à Jénine mais à toute la Palestine occupée, où les Palestiniens, par moment, se retrouvent à lutter sur de multiples fronts : l’occupation israélienne, les colons juifs illégaux armés, et l’Autorité Palestinienne cooptée.

Pour autant, mai 2021 a apporté un changement notable. La tentative israélienne de nettoyage ethnique du quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem Est, la guerre qui s’en est suivie contre Gaza et le soulèvement unitaire sans précédent rapprochant tous les Palestiniens, où qu’ils soient, a relevé Jénine et d’autres régions palestiniennes de leur état d’abattement. La forte résistance de Gaza, en particulier, a eu un impact direct sur les divers groupes combattants de Cisjordanie, qui étaient plutôt dispersés ou marginalisés.

Un événement sans précédent le 17 mai à Ramallah raconte toute l’histoire. Dix combattants appartenant aux Brigades des Martyrs d’Al Aqsa affiliées au Fatah – le parti politique dominant dans l’AP de Mahmoud Abbas – ont défilé dans les rues de Ramallah où l’Autorité a son siège, dans un environnement relativement calme. Les combattants ont entonné des slogans contre l’occupation israélienne et ses « collaborateurs » avant un affrontement avec des soldats israéliens en service au checkpoint militaire de Qalandia.

Cet événement était assez inhabituel car il s’est produit en contrepartie de l’écrasement perpétré par Israël, avec l’aide de ses « collaborateurs », lors de la deuxième Intifada palestinienne – le soulèvement – entre 2000 et 2005.
L’armée israélienne comprend que la guerre et le soulèvement de mai ont déclenché dans la société palestinienne une transition non bienvenue. Longtemps brimés, les Palestiniens occupés sont prêts à se rebeller, impatients de bouger, d’aller au-delà de l’octogénaire Abbas et de sa clique corrompue, de dépasser le frein du système des factions et des discours politiques au service des intérêts du pouvoir. La question est : comment, où et quand.

C’est précisément pourquoi l’armée est de retour à Jénine, essayant une fois de plus de donner une leçon aux 12000 réfugiés présents, une leçon également destinée aux Palestiniens de toute la Cisjordanie. Israël pense que si la résistance armée naissante à Jénine est supprimée maintenant, le reste de la Cisjordanie va se tenir « tranquille ».

Selon le journaliste palestinien Atef Daghlas, les forces d’occupation ont tué dix Palestiniens au cours de leurs fréquents raids nocturnes à Jénine. Huit parmi les victimes ont été tuées rien que depuis la fin de la guerre contre Gaza.

Il y a deux raisons principales derrière le nombre croissant de pertes parmi les Palestiniens au cours des derniers mois : tout d’abord, le nombre croissant de raids israéliens – où les soldats de l’occupation, souvent déguisés en Palestiniens, entrent dans le camp la nuit et tentent de capturer de jeunes combattants palestiniens ; ensuite, à cause du nombre grandissant de jeunes qui s’engagent dans divers groupes de résistance. D’après Daghlas, ces jeunes achètent eux-mêmes les armes qu’ils portent ; elles ne sont pas fournies par un groupe ou une faction.

« Sang pour sang, une balle pour une balle, feu contre feu » étaient quelques-uns des slogans entendus dans la ville de Jénine et dans son camp de réfugiés adjacent, lorsque les habitants palestiniens ont porté les corps de deux des quatre jeunes tués avant de les enterrer dans le cimetière des martyrs toujours plus encombré.

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Le camp de réfugiés de Jénine, 2011. (Mujaddara/Wikimedia Commons)

Le fait que Jénine soit une fois de plus en tête du choix de la lutte armée lance une alarme dans toute la Palestine occupée. Israël est désormais ennuyé à l’idée qu’une Intifada armée soit en cours de constitution et Abbas sait très bien que toute Intifada sonnera le glas de son Autorité.

Il est évident que ce qu’il se passe actuellement à Jénine renvoie à quelque chose de beaucoup plus large. Israël le sait, d’où la violence exagérée contre le camp.

En fait, deux des corps des Palestiniens tués doivent encore être rendus à leurs familles pour un enterrement digne. Israël a souvent recours à cette tactique comme élément de marchandage et pour accroître la pression psychologique sur les localités palestiniennes, surtout celles qui résistent.

Il pourrait être pertinent de noter que le camp de réfugiés de Jénine a été formé officiellement en 1953, quelques années après la Nakba de 1948, l’année où la Palestine historique a été détruite et l’État d’Israël créé. Depuis, génération après génération, la jeunesse de Jénine continue à se battre et à mourir pour sa liberté.

Il s’avère que Jénine n’a jamais agité le drapeau blanc, finalement, et que la bataille qui a commencé en 2002 – en fait en 1948 – n’a jamais vraiment pris fin.