En ce mois de novembre 2025, une équipe municipale de Jénine conduite par le maire de la ville, Mohammed Jarrar, participe à une semaine de rencontre des acteurs de la coopération décentralisée du département de Seine-Saint-Denis avec les municipalités de Jénine, Qalqiliya et Tulkarem.

Dimanche 16 novembre, ATL Jénine en a profité pour inviter Monsieur le maire et deux collaboratrices, Maysoun Dawoud, directrice du centre culturel municipal de la mère et l’enfant, ainsi que son adjointe Lina Zuher.

Nous avons déjeuné à La Table Ouverte de l’ICI, l’Institut des Cultures d’Islam, puis visité une partie de l’exposition de la plasticienne et anthropologue marocaine, Sara Ouhaddou.

Ensuite, nous avons eu deux heures de réunion avec l’équipe de Jénine, dont voici l’essentiel de la teneur.

Monsieur le Maire, Mohammed Jarrar, s’est montré très ouvert et réceptif à nos questions. Il nous a livré non seulement des éléments d’information mais des analyses sur la situation à Jénine que la presse ici ne transmet évidemment pas.

Il nous a d’abord remerciés de nous intéresser à Jénine et de faire savoir ce qu’il s’y passe alors que la ville et le camp sont attaqués depuis 2021 : 104 intrusions de l’armée ont eu lieu au cours de ces quatre années, dont 17 particulièrement destructives. La dernière, en cours depuis janvier 2025, a donné lieu à des expulsions du camp et de la ville : 16 000 personnes du camp et 7 000 de quatre quartiers, soit 23 000 au total, avec des attaques aériennes et terriennes.

Face à cette situation gravissime et inédite, le maire a contacté 20 autres maires des environs et il est fier de la solidarité qui s’est manifestée, permettant l’hébergement des 23 000 personnes déplacées en 24h. Ils pensaient que cet éloignement ne durerait que quelques jours, n’ayant aucune information de la part de l’armée israélienne. Quand ils ont compris que ce n’était pas le cas, il a fallu s’organiser de façon plus durable. Le comité populaire de Jénine a loué 18 appartements autour de l’université américano-palestinienne de Jénine.

Jénine s’est trouvée face à un problème particulier, celui d’habitants de Gaza qui travaillaient en Israël et qui ont perdu leur emploi à partir du 7 octobre 2023 et n’ont pu rentrer à Gaza. Des milliers d’entre eux ont dû être accueillis dans des villes de Cisjordanie, dont Jénine qui en accueille un millier. Un programme spécial cofinancé par la municipalité et des dons privés est mis en œuvre pour ce millier de travailleurs gazaouis.

Tout cet afflux de population fait que 21% de la population de la ville sont des nouveaux réfugiés.

Diverses aides se sont déployées. Par exemple l’ONG La Cuisine Internationale, aidée par le PAM (le programme alimentaire mondial de l’ONU) a fourni 560 000 repas chauds. Des dons privés et de l’Autorité Palestinienne ont permis de payer des loyers pendant quelques mois. Mais la municipalité est toujours à la recherche de solutions pérennes.

Maysoun a rappelé que les gens expulsés du camp ont dû partir sans rien emporter. Cette expulsion a créé beaucoup de peur que les enfants ressentent encore. Certaines familles, très marquées, sont un peu paralysées et tendent à se replier. Aussi, le personnel du centre essaie d’aller vers elles et de leur proposer des activités culturelles et artistiques. Les enfants n’ont plus leurs écoles, d’où le rôle du centre auprès d’eux. Mais petit à petit les enfants du camp ont pu intégrer des écoles de la ville. Il y a eu 89 jours de fermeture complète des écoles depuis janvier. Mais à la rentrée 2025, seules 3 des 31 écoles de la ville n’ont pas encore ouvert.

Depuis février 2025, une branche humanitaire de la municipalité a été créée, avec 300 à 350 personnes de tous âges et sexes. Ce service livre 6 500 repas par jour avec des ambulances ou des véhicules particuliers.

La solidarité internationale joue aussi son rôle. Le jour-même de notre rencontre, l’association Deniz d’Istanbul a offert 70 000 € d’aide humanitaire, soit une semaine d’alimentation pour 1 000 familles.

La santé économique de Jénine s’est gravement détériorée. Avant 2021, Jénine était en tête du développement économique palestinien. Le chômage, qui était de 7%, est passé à 66%, tandis que la construction a diminué de 72%. 4 000 emplois perdus ont privé environ 20 000 personnes de revenus. Les jeunes formés ont tendance à émigrer, notamment depuis un an aux Pays-Bas et en Islande. Le maire a protesté contre la proposition d’accueil de jeunes d’une ville du Canada, disant : « On veut garder nos jeunes ».

Israël veut transformer l’emplacement du camp en un quartier de la ville, faisant disparaître le statut de réfugié et donc le droit au retour. Le COGAT (organisme militaire israélien chargé depuis 1981 d’administrer la population des territoires palestiniens occupés) a proposé cette solution à la municipalité en avançant la possibilité de financer la construction de ce quartier à hauteur de 320 millions de dollars. Le maire a écrit à l’AP pour attirer son attention sur cette tentative d’Israël de passer par-dessus l’AP en traitant directement avec les communes. Déjà dans les années 1970, Israël avait proposé aux municipalités de Cisjordanie qu’elles organisent des élections – proposition qui avait suscité un large boycott de la part des Palestiniens et, par la suite, des tentatives d’assassinats par Israël des maires « du refus », dont Bassam Shakrah, le célèbre maire de Naplouse.

Le maire souligne que le 7 octobre a été un tournant qui a inauguré une nouvelle stratégie d’Israël : pour l’occupant, il ne s’agit plus du seul nettoyage ethnique des Palestiniens dans le cadre d’Israël et des terres illégalement occupées, mais de conquérir le Grand Israël dans lequel la Cisjordanie serait noyée, Israël ayant toujours eu l’idée de créer un État palestinien uniquement à Gaza, et mettant aujourd’hui le focus dessus.

Pour lui, Israël n’attaque pas seulement les Palestiniens physiquement, il s’attaque à la pensée palestinienne, aux droits des Palestiniens en accentuant l’occupation afin de détruire l’idée de l’État palestinien. Pour autant, et malgré ses victoires militaires, Israël a perdu en reconnaissance internationale, mais il poursuit son objectif. « Si les Palestiniens qui sont en première ligne ne résistent pas », dit-il, « Israël voudra continuer ses conquêtes par le Liban, et d’autres pays ».

Les derniers échanges ont porté sur le Freedom Theatre et sur les arts et la culture. Maysoun a mis en avant les activités du centre qu’elle dirige envers les enfants et les femmes pour leur faire envisager un avenir. Le cinéma et le théâtre sont importants pour pouvoir s’exprimer et dépasser les souffrances endurées. Elle a parlé d’un spectacle intitulé Femmes 40-50 sur les droits des femmes inégalement perçus et revendiqués par les femmes elles-mêmes.

Nous avons exprimé le vœu que les financements du CD 93 à la ville puissent mieux favoriser les arts et la culture, en pensant à la demande de Mustafa. Mais le maire a dit simplement que la ville subventionne ce type d’activités pour des dizaines d’associations, dans le souci d’aider tout le monde.

La dernière partie de la rencontre a été consacrée à la visite de l’exposition de l’artiste de Jénine, Sabreen Haj Ahmad qu’Aline Bacchet avait rencontrée au vernissage. Elle s’est faite avec la directrice de l’Institut, Madame Stéphanie Chazalon, qui a commenté une grande fresque magnifique, très symbolique de la richesse culturelle de la Palestine et aussi de la façon dont elle est présente dans la résistance à toutes les attaques subies. Elle nous a raconté la façon de travailler de Sabreen pendant ses trois mois de résidence à l’ICI. Monsieur le Maire a été très intéressé et a déclaré vouloir organiser l’exposition à Jénine et une collaboratrice de la directrice de l’ICI a précisé que cela pourrait sans doute se faire via l’Institut Français de Jérusalem.