Le 6 janvier 2023 une délégation d’ATL Jénine s’est rendue au ministère français de l’Europe et des Affaires Etrangères.
Sonia Fayman, Maguy Marin, Etienne Balibar et Mireille Fanon Mendès France ont réclamé que la France intervienne pour que le droit humanitaire international s’applique en Israël.

Délégation composée de Sonia Fayman, présidente ATL Jénine, Maguy Marin, chorégraphe, Étienne Balibar, philosophe, professeur émérite à l’université de Nanterre, Mireille Fanon Mendès France ex-experte ONU.
Rendez-vous demandé à la Ministre par un courrier du 17 octobre 2022, fixé par le ministère au 6 janvier, avec Inès Ben Kraiem, sous-directrice Égypte -Levant et tenu, en l’absence de cette dernière, avec Maria Wadjinny, adjointe à la sous-directrice, Alexandre Calvez, rédacteur coopération développement et Randolf Chevalier, rédacteur conflit israélo-palestinien.

Introduction par Sonia Fayman

Remerciements (tout en déplorant que l’absence de la sous-directrice ne nous ait pas été signifiée)
Présentation des membres de la délégation.

Rappel des faits ayant motivé notre demande de rendez-vous :
Arrestation de Bilal al-Saadi, président du « Board » du Théâtre de la Liberté de Jénine, qui interpelle directement ATL Jénine, l’association des Amis du Théâtre de la Liberté et qui pose une fois de plus la question de la pratique illégale de la détention administrative
La détention administrative est un déni du droit : c’est une punition collective parce que les emprisonnés font défaut à leurs familles, à leurs collègues ; des activités sont empêchées ; dans les milieux artistiques et culturels, des productions sont interrompues, mises en péril.
Le Freedom Theatre : une compagnie phare en Palestine, de renommée internationale mais constamment menacée dans son existence : assassinat de Juliano Mer Khamis son fondateur, jamais éclairci, multiples arrestations.

Des associations d’amis du théâtre en France, au Portugal, aux États-Unis, en Suède qui organisent des tournées dans leurs pays (six en France depuis 2009) et soutiennent les activités de la troupe.
ATL cofinance le programme enfants et jeunes. Important de donner un éveil culturel aux enfants, de les extraire de la gangue de l’occupation permanente et des attaques de l’armée israélienne. Certains poursuivent jusqu’à l’âge d’entreprendre le cursus de formation professionnelle en trois ans du Freedom Theatre qui leur permet, depuis la création de cette école d’acteurs en 2008, de devenir acteurs-trices.

Dimension principale : la résistance culturelle est partie intégrante de la résistance qui est un droit dans un pays occupé. Résistance à la puissance coloniale mais aussi aux formes d’oppression internes à la société palestinienne. Décolonisation des esprits. Des pièces de théâtre qui parlent au-delà des frontières. Les réprimer est un crime de guerre.

Nous demandons que le gouvernement français intervienne pour la libération immédiate de Bilal al-Saadi et insiste auprès du gouvernement israélien pour que cesse la pratique inique de la détention administrative.

Intervention de Maguy Marin

C’est au sein du camp de Jénine où les incessantes attaques et incursions de l’armée israélienne tentent de rendre inaudibles les voix d’artistes palestiniens qui animent la troupe que le Freedom Théâtre maintient, depuis 2006, de remarquables activités de pratique artistique – éveil auprès d’enfants et d’adolescents, ateliers de formation au jeu d’acteur pour les jeunes adultes et créations nouvelles adressées au public – cela, malgré la politique d’apartheid de plus en plus violente menée par le gouvernement israélien.

Nous savons que les arts sont une arme d’une exceptionnelle puissance de résistance à toutes les dominations – ici, en particulier celle de la colonisation israélienne. On le sait, ceux-ci ont un rôle crucial à jouer dans le processus de construction d’une société libre et démocratique. Chaque lieu, tel le Freedom Théâtre, qui permet ces échanges doit être impérativement protégé. Les pratiques artistiques engagent aussi bien celui qui les regarde (le public) que celui qui les met en œuvre (les artistes).

La lutte culturelle est un outil de résistance en temps de guerre comme de paix. Son expression met en mouvement nos sensibilités, nos imaginations, nos intelligences, nos disponibilités. Elle est avenir, instrument d’émancipation, et le meilleur antidote à tous les racismes, antisémitismes, communautarismes et autres pensées régressives sur l’homme. Les voix de ces artistes palestiniens sont aujourd’hui largement menacées d’être réduites au silence. Celles du peuple palestinien, déjà si peu entendues, n’en auront que moins d’écho. Par l’action du Freedom Théâtre les regards sont aiguisés et les participants amenés à développer un sens critique pour résister à la rage et à l’impuissance que génère le vol et l’occupation de leurs terres. Dans ses déplacements internationaux, leurs paroles, si elles sont préservées, peuvent devenir un levier qui dénonce et s’oppose activement à la domination israélienne qui emprisonne, humilie, détruit, divise.

Le Freedom Theatre affirme par sa permanence un pouvoir d’agir plein à chaque minute de possibilités en devenir. Cet horizon, là comme ailleurs, nous est indispensable pour espérer conduire nos vies. C’est cet essentiel-là, qui se trouve mis en danger par la suspension des activités qu’implique la rétention administrative arbitraire à laquelle est soumis le président du Freedom Théâtre, Bilal al Saadi. Devant la violence de l’armée et l’amplification de la colonisation, l’indifférence des états et des institutions européennes nous laissent sans voix mais des initiatives se dressent tant du côté palestinien que du côté israélien pour dénoncer cette politique d’oppression de plus en plus criminelle. Déjà, en 2019, en raison de cette violence, nous avons, avec mon équipe, annulé notre participation à la saison France Israël. Nous refuserons à nouveau de participer à des programmes culturels officiels entre la France et Israël, qui servent de chambre d’écho à la politique ségrégationniste d’un gouvernement qui continue à opprimer aujourd’hui encore un peuple entier. C’est avec ces idées en tête et au cœur que nous souhaitons, par notre mobilisation et notre appel, insister pour que le gouvernement français, tirant toutes les conséquences de cette situation, ne participe d’aucune façon à des évènements impliquant des relations culturelles faisant fi de cette oppression mais bien plutôt en prenant l’initiative d’un programme d’aide au théâtre palestinien doté d’une ligne budgétaire facilitant la venue en France des troupes de théâtre palestiniennes confirmées.

Intervention d’Étienne Balibar

Etienne Balibar fait état des liens qu’il avait établis avec le Freedom Theater au moment de sa fondation par Juliano Meir Khamis et ses camarades, et de la visite qu’il lui a rendu dans le camp de Jénine en tant que membre de son conseil d’administration international en 2012. A cette occasion comme en d’autres il lui est apparu que les activités du Théâtre remplissent une fonction vitale auprès d’une population qui est en butte, de façon permanente, de la part des forces d’occupation israélienne, à une véritable entreprise d’anéantissement de sa culture et de ses liens sociaux.

Le terme de « résistance », qui a déjà été utilisé par les précédents membres de notre délégation, s’impose ici avec toute la richesse de ses significations qui, en France tout particulièrement, évoquent des moments fondateurs de notre indépendance nationale : comment comprendre la Résistance française à l’Occupation dans les années noires sans évoquer la participation des poètes et des artistes qui en exprimaient l’esprit ? Tout cela fait partie des éléments qui, si la France veut être cohérente avec les principes dont se réclament ses pouvoirs publics, devraient pousser à abandonner au plus vite une attitude de prétendu « équilibre » entre des « belligérants » qui ne profite en fait qu’à la puissance occupante ; or, la France pourrait marquer plus nettement son engagement en faveur du droit international et du peuple palestinien qui résiste depuis des décennies, sans se décourager mais avec de plus en plus de difficultés, à la négation de ses droits historiques et de son identité.

Pour conclure, Etienne Balibar soumet aux représentants du MAE la proposition suivante :
« Avec des différences suivant les zones administratives et entre les territoires illégalement occupés et le territoire israélien internationalement reconnu, mais qui n’empêchent pas l’appartenance à un seul et même système d’oppression, le racisme et les violences dont sont victimes l’ensemble des Palestiniens dans la Palestine historique correspondent exactement à ce que les normes impératives et les organismes internationaux nomment « apartheid », considéré comme un crime contre l’humanité. Dénoncé et documenté par les principales organisations de défense des droits humains – dont certaines (toutes les principales organisations palestiniennes) sont aujourd’hui interdites d’activité – ce contexte de violations flagrantes est reconnu par la communauté internationale, la plupart des grands media indépendants, une part importante de l’opinion publique dans le monde et dans notre pays. Au moment où un nouveau gouvernement israélien, comptant en son sein les représentants des tendances colonialistes et racistes les plus virulentes, entre en fonctions et s’apprête à en aggraver toutes les dispositions, nous attendons et réclamons du gouvernement français qu’il dénonce officiellement cet état de fait et qu’il en tire toutes les conséquences aussi bien sur le plan diplomatique que sur celui des relations bilatérales, y compris celui des relations scientifiques et culturelles. »

Intervention de Mireille Fanon Mendès France

La Palestine oblige à s’interroger sur le droit international, entre autres en ce qui concerne l’utilisation de la force armée par l’État d’Israël, puissance occupante, et le droit humanitaire international car elle questionne plusieurs éléments dont la position de la communauté internationale qui se devrait de construire sa position au regard des obligations qu’elle se doit de respecter face à la nature des actions de l’État d’Israël et qui pourtant est curieusement muette devant les crimes de guerre commis, ou elle manifeste tellement du bout des lèvres qu’elle est particulièrement inaudible.

En déclenchant une guerre sans fin contre la Palestine, les autorités israéliennes ont ordonné et continuent d’ordonner l’exécution d’opérations militaires d’envergure qui enfreignent les dispositions de la Charte des Nations Unies, particulièrement celle contenue dans l’article 2§ 4 de la Charte des Nations Unies qui interdit de manière absolue, sauf exception, la menace de l’utilisation de la force armée ainsi que l’utilisation de la force armée afin de garantir la paix et la sécurité internationales pour tous les États et les peuples qu’ils soient petits ou grands, mais aussi celles des Conventions de Genève et de bien d’autres instruments internationaux.
Dès la Naqba, expulsion forcée, un crime de guerre a été commis, depuis ce crime n’a cessé de prendre de l’ampleur : bombardements aveugles et indiscriminés de l’infrastructure civile et de la population, exécutions extra-judiciaires, utilisation de la détention administrative comme moyen de punition collective, enfermement massif d’une part importante de la population palestinienne, vol des terres et des ressources naturelles, blocus illégal de la Bande de Gaza. Aucun État ne peut justifier ces agressions au nom du droit à se protéger ou pour des « raisons de sécurité ».

Il est nécessaire de rappeler que l’État d’Israël – en conséquence ses forces armées- est une force d’occupation de l’ensemble du territoire palestinien, ce qui a plusieurs fois été condamné par le Conseil de sécurité qui a rappelé que l’acquisition d’un territoire par la force, en l’occurrence celui du Golan, est contraire à la Charte des Nations Unies, considérant que l’acte unilatéral israélien « …est nul et non avenu et sans effet juridique sur le plan international… » (1).

Pourtant aucun des États occidentaux et aucun de leur gouvernement n’a condamné explicitement la politique israélienne permettant à des responsables israéliens de commettre, en Palestine occupée, des crimes de guerre sur une grande échelle : exécutions sommaires et extrajudiciaires, enlèvement et détention arbitraire de membres démocratiquement élus, pratique institutionnalisée de la torture et de l’apartheid -crime de droit international. Aucun de ces États n’a demandé explicitement ou exigé le jugement et la condamnation des responsables de ces crimes Au contraire, nombre de pays occidentaux, dont les Etats-Unis, certains pays européens, dont la France – ne cessent de proclamer le droit de l’État d’Israël à se défendre, justifiant ainsi tous les crimes qui vont des massacres de la population civile palestinienne jusqu’aux pires crimes internationaux. Ces mêmes États se gardent bien de rappeler qu’Israël est un État qui soumet, en tant qu’occupant, le peuple palestinien à la domination coloniale.

Ce faisant ces États sont responsables de la situation de dégradation généralisée qui règne aussi bien en Palestine que sur l’ensemble du Moyen Orient. Tous feignent d’oublier que le droit des Palestiniens repose sur le principe inaliénable du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes consacré par la Charte des Nations Unies et réaffirmé par la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale. Selon cette résolution –faisant partie du droit coutumier-, « tout État a le devoir de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait les peuples [soumis à la subjugation, à la domination ou à l’exploitation étrangères] de leur droit à disposer d’eux-mêmes, de leur liberté et de leur indépendance. Lorsqu’ils réagissent et résistent à une telle mesure de coercition dans l’exercice de leur droit à disposer d’eux-mêmes, ces peuples sont en droit de chercher et de recevoir un appui conforme aux buts et principes de la Charte » (2).

L’article 1er commun aux deux pactes internationaux relatifs (1966), l’un aux droits économiques, sociaux et culturels et l’autre, aux droits civils et politiques, réaffirme le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes et fait obligation aux États parties de faciliter la réalisation de ce droit et de le respecter, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies.
Ne le faisant pas, ces États agissent de manière radicalement incompatible avec le droit international et les normes de protection des droits humains et compromettent, in fine, la cause de la paix et de la coopération internationale.

Ajoutons que depuis 1967, les Palestiniens, et particulièrement les civils, les enfants, les blessés et les malades, subissent une violation permanente du droit humanitaire par l’occupant israélien, notamment par l’extension des colonies de peuplement et de la lente et inexorable annexion de -Jérusalem-Est, par les arrestations arbitraires de jeunes, de représentants de la société civile ou encore d’élus du parlement palestinien, par l’usage illégal de la détention administrative sans jugement, par la destruction de maisons palestiniennes, quand ce n’est pas de villages entiers.
Les États parties doivent prendre leur responsabilité dans le contexte de grande souffrance du peuple palestinien et de son profond désarroi face à l’impunité totale dont jouit Israël pour ces violations graves et permanentes du droit humanitaire international. Ils ont l’obligation de tout faire pour que le droit humanitaire protège réellement les enfants, les femmes et les hommes de Palestine dans le contexte de la guerre asymétrique entre Israël et la Palestine.

La France se doit d’intervenir pour que le droit humanitaire international s’applique enfin et pour que l’arbitraire de l’occupant cesse en demandant à la Suisse de réunir une conférence des parties contractantes aux Conventions de Genève pour mettre en œuvre leur article 1 stipulant que « les Hautes Parties contractantes s’engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances ».
La France doit s’engager de manière déterminée pour que la Suisse organise cette conférence, et cela indépendamment de l’opposition d’Israël et de sa puissance protectrice, et sans attendre le résultat de l’ouverture de l’enquête sur la situation dans l’État de Palestine (Gaza, Cisjordanie et Jérusalem-Est) décidée par le procureur de la CPI en mars 2021.

Échanges

Des échanges ont eu lieu avec les représentants du ministère qui ont dit comprendre nos points de vue. Pour autant, leur action diplomatique s’appuie sur la perspective de la création d’un État palestinien dont la viabilité serait garantie par le droit international. La France favorise la coopération sécuritaire entre Israël et l’Autorité Palestinienne, ce que la délégation a relevé comme impropre à la reconnaissance des droits des Palestiniens.
La sous-direction a déclaré avoir à cœur de maintenir des contacts avec les sociétés civiles palestinienne et israélienne, affirmant son soutien au six ONG palestiniennes interdites par Israël, manifesté dans une augmentation de l’aide financière française à ces organisations.
La sous-direction a déclaré prendre en considération les demandes de la délégation, en lien avec le consulat de France à Jérusalem-Est.

Nous demandons :

* Que le gouvernement français intervienne pour la libération immédiate de Bilal al-Saadi et insiste auprès du gouvernement israélien pour que cesse la pratique inique de la détention administrative.

* Que le gouvernement français, tirant toutes les conséquences de cette situation, ne participe d’aucune façon à des évènements impliquant des relations culturelles faisant fi de cette oppression mais bien plutôt en prenant l’initiative d’un programme d’aide au théâtre palestinien doté d’une ligne budgétaire facilitant la venue en France des troupes de théâtre palestiniennes confirmées.

* Qu’au moment où un nouveau gouvernement israélien, comptant en son sein les représentants des tendances colonialistes et racistes les plus virulentes, entre en fonctions et s’apprête à en aggraver toutes les dispositions, nous attendons et réclamons du gouvernement français qu’il dénonce officiellement cet état de fait et qu’il en tire toutes les conséquences aussi bien sur le plan diplomatique que sur celui des relations bilatérales, y compris celui des relations scientifiques et culturelles.

* Que la France intervienne pour que le droit humanitaire international s’applique enfin et pour que l’arbitraire de l’occupant cesse en demandant à la Suisse de réunir une conférence des parties contractantes aux Conventions de Genève pour mettre en œuvre leur article 1 stipulant que « les Hautes Parties contractantes s’engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances ». La France doit s’engager de manière déterminée pour que la Suisse organise cette conférence, et cela indépendamment de l’opposition d’Israël et de sa puissance protectrice, et sans attendre le résultat de l’ouverture de l’enquête sur la situation dans l’État de Palestine (Gaza, Cisjordanie et Jérusalem-Est) décidée par le procureur de la CPI en mars 2021.